Pénurie mondiale de pilotes

L'Association du transport aérien international (IATA) vient de tirer la sonnette d'alarme : le monde devra recruter entre 500 000 et 600 000 pilotes au cours des deux prochaines décennies, alors que le nombre d'avions devrait doubler d'ici 2044.

Selon les chiffres de Boeing publiés en juin, la flotte mondiale atteindra 48 575 appareils dans les 20 prochaines années, contre 24 500 aujourd'hui. Airbus a fait des prévisions similaires. Une série de commandes importantes de la part des plus grandes compagnies aériennes mondiales témoigne de cet avenir.

Lors du salon aéronautique de Dubaï qui s'est terminé le 17 novembre, Emirates a créé la surprise avec sa décision d'acheter 90 avions long-courriers Boeing 777X pour 52 milliards de dollars, plus 15 Airbus A350 pour 5,5 milliards de dollars.

Plus tôt, en juin, au Salon du Bourget, Airbus avait attiré l'attention avec une commande « historique » de 500 Airbus A320 d'une valeur de 44 milliards d'euros auprès d'Air India. L'entreprise avait également conclu un accord de principe pour l'achat de 355 Airbus d'une valeur de 53 milliards d'euros auprès de Turkish Airlines.

Marc Rochet, président d'Air Caraïbes et de la compagnie aérienne low cost French Bee, a déclaré que l'augmentation constante du nombre d'avions commerciaux avait exercé une « pression de recrutement » sur les pilotes ces derniers temps.

La pénurie de pilotes est apparue dès la reprise des vols long-courriers après la crise liée à la Covid. En effet, les vols vers des destinations lointaines nécessitent un équipage nombreux. Selon Alexandre Blanc, directeur général adjoint des opérations aériennes d'Air France, il faut cinq équipages, soit dix pilotes, pour piloter un avion moyen-courrier, et entre 21 et 24 pour un avion long-courrier.

L'obligation de rester loin de la Russie en raison du conflit en Ukraine a allongé de deux heures la durée des vols entre l'Europe et l'Asie et le Japon. « Nous dépassons la limite de 13,5 heures de vol, obligeant les compagnies aériennes à augmenter le nombre de pilotes par équipage de trois à quatre », a ajouté Alexandre Blanc.

Guillaume Hue, expert en aviation chez Archery Strategy Consulting, a déclaré que le manque de pilotes était déjà un problème. « C'est un frein plus important à l'expansion des compagnies aériennes que le manque d'avions », a-t-il ajouté.

Malgré ces avertissements, le système mondial de formation des pilotes n'a pas encore adapté ses processus pour répondre aux prévisions de l'IATA. À Toulouse, en France, 23 étudiants obtiennent chaque année leur diplôme de l'École nationale de l'aviation civile (ENAC), selon Kirsty Benet-Scott, responsable du recrutement et des tests. Elle a précisé que rien ne changerait pour l'examen de 2024, qui n'accepterait toujours que 23 candidats pilotes sur 1 200.

Air France forme elle-même entre 150 et 200 pilotes par an, selon Blanc. Mais cela ne suffit pas à répondre aux besoins de la compagnie. Après avoir recruté 424 pilotes en 2022, Air France en recrutera environ 500 en 2023 et maintiendra ce rythme en 2024. Ces recrutements sont liés à la reprise post-Covid et à l'augmentation du nombre de lignes.

Aux États-Unis, les pilotes ont transformé la pénurie en avantage. L'été dernier, United Airlines et American Airlines ont accepté des augmentations de salaire, United Airlines ayant à elle seule accepté d'augmenter les siennes de plus de 40 %. Mais la pénurie de pilotes sera particulièrement aiguë dans les régions où les achats d'avions sont les plus importants, à savoir l'Asie et le Golfe.

Les deux pays avaient connu un exode de pilotes étrangers à la recherche d'un emploi avant la pandémie. « De nombreux pilotes américains ont quitté la Chine et le Golfe pour revenir aux États-Unis après la crise », a déclaré Blanc.

Rochet et Blanc prévoient tous deux que la pénurie touchera plus durement les petites compagnies aériennes, où les salaires sont plus bas et les possibilités d'avancement plus limitées. Mais les compagnies low-cost ne sont pas nécessairement désavantagées. Opérant sur des lignes moyen-courriers, elles permettent à leurs pilotes de rentrer chez eux le soir et offrent une rémunération similaire à celle des grandes compagnies.

Une solution à la pénurie de pilotes pourrait résider dans la technologie. Airbus et Boeing développent tous deux des systèmes permettant d'exploiter un cockpit monopilote, autrement dit un avion avec un seul pilote aux commandes. Cependant, cela nécessitera des modifications de la réglementation et l'acceptation des pilotes et des passagers.

Piên An ( selon Le Monde )